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Souvenirs Russes

Octobre 1917, la révolution russe éclabousse l'Europe des puissances embourbées dans les tranchées de Verdun, et une très longue guerre civile s'installe pour plusieurs années dans un vaste pays au bord de la ruine.

Fuyant la dictature bolchevique, notamment après la débâcle des Armées blanches du général Wrangel en 1920, quinze mille immigrants viennent s'installer en France, qui avait pris parti pour la lutte contre les soviets. Près de quatre cent mille y résideront dans les années trente, faisant de notre pays le centre mondial de la Russie tsariste.

Tous rêvent de la chute de l'Union soviétique et de leur retour au pays. Les immigrés restent en liaison permanente et utilisent ce qu'il leur reste de structures militaires pour répondre à l'urgence de la survie.

En lisière de forêt, dans le nouveau quartier en construction de l'Archevêché, près de trois cents Russes blancs s'organisent, s'installent, ouvrent une église dépendante de l'archevêché orthodoxe de Paris, à l'angle de l'avenue de la Fontaine et de l'avenue Edouard Gourdon.

 

 

Eglise Russe du 448 Avenue La Fontaine

 

Nombre d'entre eux troquent les belles vareuses militaires de l'Empire anéanti par les Rouges contre une longue blouse blanche et deviennent les premiers chauffeurs de taxi moustachus de la capitale, donnant à la langue française un nom commun russe toujours fort usité. Toujours pressés entre deux courses, ces anciens officiers à la prestance conservée buvaient leur café le plus vite possible dans les bars de passage. Vite, vite, bistro, bistro. . .

Si les anciens princes s'amusent à découvrir Paris à toute vitesse, la misère est partout et nombre de comtesses ou de vieilles baronnes survivent comme elles le peuvent en vendant à la sauvette gâteaux et casse-croûte dans les lieux passants.

Membre d'une communauté fortement implantée dans les années 1927-1929, le bedeau de l'église, Tichone Startchenko, ouvre une épicerie buvette en 1929, avenue Mellerio dans le quartier de l'Archevêché. Sa boutique est truffée d'immenses tonneaux remplis de produits d'origine russe. Hareng saur, cornichons, caviar rouge et noir s'offrent au chaland souffrant du mal du pays.

À quelques rues de là, le restaurant Boris, situé rue Alexandre Dumas dans le quartier de l'Archevêché, soignera les goûts slaves, jusque dans les années soixante. Le samovar fume en permanence et le patron coupe aussi les cheveux des habitués. (après 1945)

Chez Zénine, installé place du marché, on buvait le thé. L'église disparaît en 1994 pour redevenir une simple maison d'habitation.

De 1934 à 1948, un ancien officier de l'Armée blanche, Jean Malijenovsky, assumera la fonction d'archiprêtre de la première église orthodoxe, installée à l'angle de l'avenue Berthelot et de l'avenue du Muguet.


Eglise Russe 589 & 589 bis angle Avenue Berthelot et Ave du Muguet avec Jean Malijenovsky (Ancien officier de l’armée Blanche ; il assurera la fonction d’Archiprêtre).

À Paris, l'immigration tisse d'importants réseaux d'entraides et des lieux de vie centrés sur la préservation des valeurs culturelles russes.
Cafés, librairies, théâtres, épiceries, églises et cimetières sont créés. La vie artistique française découvre les danseurs russes et polonais liés à l'immigration Blanche. Nijinski devient célèbre. Sergueï Pavlovitch Diaghilev - un ex-fonctionnaire des théâtres de son Altesse Impériale de toutes les Russies -, surnommé Chinchilla, excelle dans l'art du ballet et devient la nouvelle star de l'Opéra de Paris.

Les aristocrates déchus deviennent professeurs de danse, décorateurs, couturiers, modistes. En liaison avec l'implantation russe dans toute la région parisienne et notamment à Sainte-Geneviève-des-Bois où est enterré le Prince Youssoupov, l'assassin du prêtre Raspoutine, c'est à Ozoir-la-Ferrière qu'une petite fabrique de chaussons de danse ouvre ses portes, fournissant rapidement l'ensemble de la communauté artistique parisienne, des premiers danseurs aux petits rats.
Une seconde vague d'immigration russe arrive à Ozoir-la-Ferrière, sans doute pour mieux surveiller les premiers arrivants. Autre idéologie, autres mœurs, ils sont plus proches du régime stalinien.

L'église disparaît en 1994 pour redevenir une simple maison d'habitation.

Texte et photos : Jean-Claude JAILLARD

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